Source : TSMF (Tout Savoir sur Mes Finances) Auteur : Olivier Brunet, Rédacteur en Chef & Co-fondateur
Les grandes valeurs technologiques tirent les marchés actions depuis dix ans, et plus encore depuis six mois. Mais après de nouveaux records de valorisation de Nvidia, Alphabet (Google) et consorts, ces actions sont-elles devenues trop chères, faut-il encore miser dessus, vendre avant la dégringolade ou passer à autre chose ?
Analysons ensemble le phénomène et les enseignements à en tirer dans le cadre de la gestion de votre portefeuille.
De nouveaux records boursiers
L’information ne vous a certainement pas échappé, si vous suivez un minimum l’actualité des marchés financiers. Portée par l’engouement des investisseurs pour l’intelligence artificielle, l’action du fabricant de puces Nvidia a franchi il y a quelques jours le cap des 5.000 milliards de dollars de capitalisation boursière, une première pour une société cotée. Cela représente près de deux fois la valeur totale des 40 titres du CAC 40, davantage que le PIB du Japon.
Nvidia symbolise à elle seule le poids pris par les « big tech », ces grandes sociétés technologiques américaines, dans la performance des marchés actions outre-Atlantique et même à l’échelle mondiale.
Les indices d’actions S&P 500 (indice large américain) et Nasdaq 100 (sociétés technologiques) ont encore atteint de nouveaux sommets en octobre, avec des gains respectifs supérieurs à 15% et 20% depuis le début de l’année en dollars.
Des signaux d’alerte : valorisations excessives ?
Les « 7 magnifiques » ou « MAG7 », le groupe de sept grandes valeurs technologiques composé d’Alphabet (maison-mère de Google), Amazon, Apple, Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), Microsoft, Nvidia et Tesla représentent, à elles seules, plus de 35% de la valeur de l’indice S&P 500. Un degré de concentration inédit dans l’histoire boursière. En 2015, elles pesaient environ 12% du S&P 500. Le pic de 31% atteint en 2000, juste avant l’éclatement de la bulle Internet, a été dépassé. On appelle cela le risque de concentration.
Depuis la vive et brutale correction qui a suivi l’annonce en avril dernier par Donald Trump d’instaurer des droits de douane avec le monde entier, l’indice Nasdaq 100, représentatif des plus grandes sociétés technologiques aux États-Unis, a grimpé de plus de 50% ! Un mouvement haussier d’une puissance et d’une rapidité rares, comparable au rebond post-Covid. Résultat, 58% des investisseurs institutionnels pensent que les actions mondiales sont surévaluées en ce moment, d’après un sondage de Bank of America publié mi-octobre.
En termes de valorisation, la situation est tout aussi spectaculaire : Nvidia vaut près de 60 fois ses bénéfices (traduction = sa valeur équivaut à 60 ans de profits de l’entreprise), les 7 magnifiques environ 30 fois et l’ensemble du S&P 500, de l’ordre de 23 fois. Cet indicateur de valorisation, appelé PER (price earning ratio, cours/bénéfices en français) est revenu à un sommet sur 25 ans, en dehors de l’épisode post-Covid. Son niveau est supérieur de près de sept points à sa moyenne sur 25 ans (de l’ordre de 16,5).
« La dernière fois que les actions américaines ont été aussi surévaluées était en septembre 2000 », observe Allianz Global Investors dans une note publiée récemment. Un constat corroboré par « l’indicateur Buffett », qui mesure la valorisation totale des sociétés américaines cotées en Bourse rapportée au PIB annuel américain. Ce ratio atteint aujourd’hui plus de 220%, un plus haut historique, ce qui constitue un signe de survalorisation.
Un dernier point pour pondérer tous ces faits : au contraire de la bulle technologique de 1999-2000 qui a fini par éclater, les grandes valeurs américaines sont (très) rentables et génèrent (beaucoup) de cash.
IA : l’aube d’une nouvelle ère ?
En mettant de côté ces aspects de valorisation, il faut se rendre à l’évidence : ce qui se passe sous nos yeux dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) est considéré par beaucoup comme une nouvelle révolution industrielle, comparable à l’arrivée de l’électricité. Les investissements dans l’IA sont devenus l’un des principaux moteurs de la croissance américaine et des plans sociaux justifiés par des gains de productivité liés à l’IA commencent à apparaître.
Les enjeux dépassent le simple cadre économique. L’IA bouleverse déjà certains secteurs d’activité, le rapport au travail, s’insère dans la vie quotidienne de centaines de millions d’utilisateurs, pose des questions philosophiques et environnementales, touche à la souveraineté.
Pour l’heure, nul ne sait si les investissements massifs réalisés produiront le retour sur investissement escompté. Mais ces investissements sont bel et bien là.
Comment réagir ? Les critères de décision
Les constats étant posés, voici comment je vous propose de prendre la situation en compte dans le cadre de vos placements :
1️⃣ Votre exposition actuelle
La diversification, c’est à mes yeux LE principe numéro un à respecter quand on gère un portefeuille.
Mécaniquement, lorsque le cours d’une ou plusieurs actions monte plus que d’autres, leur poids s’accroit dans votre portefeuille. Si celui-ci devient excessif, cela vous met en risque, en cas de mauvaise nouvelle. Ce n’est pas un hasard si de nombreux gérants professionnels procèdent à des opérations régulières – appelées rebalancements – pour rééquilibrer leurs portefeuilles en vue d’éviter les surpondérations.
Faites le test : quel est le poids de la tech américaine dans votre portefeuille ? Au-delà de 30%, vous êtes à mon avis surexposé.
2️⃣ Votre horizon de placement
Si vous recherchez un gain à court terme (moins de 2 ans), soyez très prudent. Les corrections peuvent être brutales, en particulier dans le secteur de la tech. Or, les signaux de survalorisation se multiplient, comme je l’ai démontré au début de cette newsletter.
Il me semble imprudent de s’exposer davantage aux grandes valeurs technologiques aujourd’hui, tellement les cours ont monté. Mieux vaut attendre une prochaine correction, telle que celle de début avril, pour se repositionner à l’achat.
Si votre perspective est à 10 ou 15 ans ou plus, et que vous avez initié une stratégie d’investissements programmés, vos versements mensuels peuvent toujours inclure une composante de valeurs technologiques. Mais quitte à choisir, j’opterais (avis personnel) pour un panier d’actions diversifiées du monde entier, plutôt qu’une exposition spécifique au Nasdaq.
3️⃣ Votre tolérance au risque
L’essentiel, quand on investit, c’est de dormir sur ses deux oreilles. Si vous êtes mal à l’aise avec le parcours haussier de certaines valeurs au point de consulter frénétiquement la valorisation de votre compte-titres, de votre plan d’épargne en actions (PEA) ou de votre contrat d’assurance vie à toute heure du jour et de la nuit dans la crainte d’une correction, il est temps de réagir.
Pour vous aider à retrouver le sommeil, je peux vous suggérer, sans tout vendre d’un coup :
- de prendre une partie de vos bénéfices en allégeant les positions qui ont le plus performé
- d’arrêter d’acheter de nouvelles actions des 7 Magnifiques pendant quelques temps
- de vous intéresser à d’autres secteurs comme celui de la santé, quelque peu délaissé
Les alternatives à considérer
Vous êtes convaincu par ce thème d’investissement dans l’IA ? Des opportunités existent au-delà des titres des méga-capitalisations américaines, en amont comme en aval. Un exemple au sein du CAC 40 : la société française Legrand fournit un ensemble de produits pour les datacenters (centres de données) destinés à optimiser leur consommation d’énergie, protéger les circuits électriques ou assurer la continuité de leur alimentation électrique.
Si vous venez de constituer votre épargne de précaution et que vous commencez tout juste à investir, pensez à diversifier, y compris dans le cadre de versements programmés. Les États-Unis en général et les grandes valeurs technologiques en particulier sont un segment de la cote inévitable : dans le cadre d’un portefeuille diversifié, les ignorer serait une faute. Mais quitte à vous y exposer, autant le faire de manière diluée pour minimiser les risques de correction. Voici comment procéder :
- si vous investissez en ETF (fonds indiciels cotés) : un ETF actions monde de type MSCI World est par définition plus diversifié qu’un ETF S&P500, et cet ETF S&P 500 est plus diversifié qu’un ETF Nasdaq.
💡Mon astuce : neutraliser la surpondération des valeurs technologiques est possible en utilisant un ETF équipondéré (où le poids de chaque valeur est égal). Ces ETF portent la mention « Equal Weight » - intéressez-vous à la gestion active (un gérant sélectionne des titres pour votre compte au sein d’un fonds) qui permet de diversifier davantage l’exposition d’un portefeuille au secteur technologique, par exemple en couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur de l’IA, que ce soit en fonction de la nature de l’activité, de la zone géographique ou de la taille de capitalisation
En conclusion : comment réagir
Il me paraît inconcevable de rester inactif après un tel parcours boursier des grandes valeurs technologiques. Oui, le mouvement haussier peut encore durer. Mais pour combien de temps ? Seul l’avenir permettra d’affirmer si nous étions en période de bulle ou à l’aube d’un nouveau cycle.
En attendant, je vous suggère de suivre ceci :
- 🧠Faites le point : analysez votre portefeuille pour mesurer votre exposition aux valeurs tech.
- ⤵️Allégez vos positions dont le poids vous semble devenu excessif
- 🔍Intéressez-vous à d’autres titres ou secteurs, en lien avec l’IA ou plus « défensifs » comme la santé
- 🥚🥚🥚Privilégiez la diversification, que ce soit via des ETF ou des fonds gérés activement (qui prennent les décisions pour vous)